Fragments 1990-2006 | Video Work
Fragments 1990-2006 Le feu couve sous la braise. Une CNN tonitruante déverse les images de la Seconde Guerre en Irak. Puis une princesse biblique interroge son père: “Est-il vrai que l’Irak d’aujourd’hui et la Babylonne d’hier sont une seule et même chose?” Le cinéaste, lui, se balance avec sa caméra comme avec un livre de prière, face à l’écran TV, toujours intarissable. “Père, reprend la princesse en gros plan, les croisades sont-elles encore possibles?”, tandis que le général Schwarzkopf marche à reculons devant une batterie de micros, renvoyant à une imagerie digne d’Apocalypse Now. “Père, demande-t-elle enfin, serait-il possible que cette guerre soit la mère de toutes les guerres?” C’est à un véritable maelström d’images que nous confronte Gérard Allon, lui qui nous avait gratifié, il y a deux ans, de Naomi’s Corset, film fort et dérangeant, consacré à sa fille cadette. Avec une étonnante liberté, Fragments 1990-2006 mixe des images d’actualités (Première et Deuxième Guerre d’Irak, évacuation de la bande de Gaza), de fictions (Hiroshima mon amour, Dr Folamour ou Le Septième Sceau), de nanars avec Sylvester Stallone ou Bruce Lee, ou encore de publicités de vodka et de parfum. En contre-point, des scènes avec sa fille aînée Keren l’interrogeant telle une princesse juive, avec son fils David partant pour le front, ou avec son père Abraham interprétant le destin d’Israël à l’aune de la Bible. Mais Gérard Allon n’est pas dupe. A l’aide de ces diverses images qu’il détourne afin d’en mieux souligner le sens littéral, il dénonce un messianisme temporel et renvoie dos-à-dos les tenants des trois monothéismes qui deviennent, au nom de la paix, de véritables va-t-en guerre. Son message est on ne peut plus clair. L’escalade prônée par les uns et les autres nous mène droit dans le mur. Et son film de prendre une dimension autant prophétique que politique, annonçant une apocalypse qui n’aura rien de joyeux. Avec humour et ironie, n’hésitant pas à utiliser le “split-screen” pour opposer un grand-père qui prêche à un fils qui dort à l’arrière de la voiture, Gérard Allon nous promet des lendemains qui déchantent. Et la jeune princesse de s’interroger: “Père, oh père, saura-t-on éviter l’holocauste qui vient?” (Texte: Bertrand Bacqué. Dans le Catalogue du Festival Visions du Réel, Nyon 2007)